Critères de choix des fluides thermodynamiques
Introduction
Lorsque l'on est amené à choisir un fluide de travail pour une application, on souhaite généralement qu'il conduise à de hautes performances énergétiques, qu'il soit adapté aux conditions de fonctionnement du cycle, qu'il soit viable économiquement et satisfasse les réglementations en vigueur.
Les critères de choix des fluides pour les cycles frigorifiques peuvent bien évidemment être différents de ceux pour les cycles de Rankine.
Les problèmes se posent aussi différemment selon qu'il s'agit de concevoir une nouvelle installation ou de changer le fluide d'une existante. Dans ce dernier cas, il est nécessaire que les caractéristiques thermodynamiques du fluide de remplacement soient proches de celles de l'original, alors que dans le premier cas le changement peut quelquefois permettre une amélioration des performances de l'installation. Dans tous les cas, de nombreux problèmes technologiques doivent être étudiés, comme par exemple pour un cycle frigorifique la compatibilité avec les lubrifiants, le choix du déshydrateur, l'adaptation du détendeur...
D'une manière générale, on peut distinguer, dans toutes les classifications, quatre principales catégories de critères :
critères de performance,
critères technico-économiques ;
critères de limite de fonctionnement ;
critères d'environnement et de sureté.
Critères de performance énergétique
De nombreuses études ont été publiées au cours des dernières années pour essayer de relier les performances énergétiques aux propriétés thermophysiques des fluides, notamment pour les cycles de récupération d'énergie dits ORC (Organic Rankine Cycle).
Les conclusions de ces études montrent qu'il est très difficile de mettre en évidence de telles liaisons, et qu'il n'existe très souvent pas de fluide satisfaisant sur tous les plans.
Il est cependant clair que quelques propriétés peuvent avoir un impact direct sur le cycle considéré.
Coordonnées critiques
Les valeurs de la température et la pression critiques sont très importantes. Ces données déterminent la limite de la haute pression du cycle. Près de la pression critique, une variation très faible de la température peut entraîner un changement de pression important, ce qui peut influencer le comportement du système.
Il est donc généralement recommandé de garder une « distance » suffisante entre le point critique et la partie HP du cycle, sauf dans les cycles dits supercritiques.
Glissement de température
Selon les cas, l'existence d'un glissement de température peut être un avantage sur le plan des échanges thermiques. On sait qu'un tel glissement s'observe dans les mélanges zéotropes.
Dans les cycles ORC destinés à récupérer de la chaleur sur des effluents, le glissement de température peut permettre de réduire les irréversibilités. Si la source chaude est à température constante (condensation d'une vapeur), il peut être en revanche préférable de maintenir une température d'évaporation du fluide constante.
Pente de détente du fluide de travail
On peut distinguer trois types de fluides : les fluides secs, les fluides isentropiques et les fluides humides.
Cette distinction se fait par la valeur de la pente δ de la détente dans le diagramme entropique, définie par δ=dS/dT sur la courbe de saturation vapeur.
si δ>0, le fluide est dit « sec » ;
si δ=0, le fluide est dit « isotropique » ;
si δ<0, le fluide est dit « humide ».
Concrètement, la courbe de saturation vapeur des fluides « secs » possède une pente positive ; celle des fluides «isentropiques » une pente infinie et les fluides « humides » ont une pente négative. Cela se traduit par les trois formes des courbes de saturation représentées dans la figure ci-dessous (fluide sec à gauche, isentropique au milieu, et humide à droite).
Il préférable de faire fonctionner des turbines dans le domaine vapeur plutôt que dans la zone d'équilibre liquide-vapeur en raison de la formation des gouttes de liquide qui peuvent avoir un effet abrasif et font baisser le rendement isentropique. Si la vapeur est saturée à l'entrée de la turbine, seuls les fluides du type « sec » et « isentropique » peuvent satisfaire à cette condition. Dans le cas de l'utilisation d'un fluide « humide », une surchauffe est préférable.
De plus, la surchauffe n'est pas recommandée pour tous les types de fluides. Dans certain cas, elle peut être un moyen de gagner en efficacité du système, mais ce n'est pas toujours vrai. De façon générale, la surchauffe est avantageuse pour un fluide « humide », mais moins pour un fluide « sec ». Ainsi, le type de fluide choisi a une influence sur l'architecture du système énergétique.
Pour les cycles ORC, on préfère généralement des fluides « isentropiques » ou « secs ». Remarquons toutefois qu'un fluide du type « sec » n'est pas forcément le fluide parfait,car il peut rester fortement surchauffé après détente. On doit alors envisager d'utiliser un régénérateur pour récupérer cette puissance thermique en désurchauffant le fluide jusqu'à la saturation, mais cela peut présenter des difficultés technologiques.
Ces conclusions sont aussi valables pour un cycle de réfrigération ou de pompe à chaleur, un fluide humide conduisant à une surchauffe plus importante qu'un fluide sec.
Modélisation des fluides
Etant donné que la seule connaissance des propriétés thermophysiques des fluides ne suffit pas pour déterminer les performances énergétiques d'une installation, il est nécessaire de modéliser le système étudié pour les connaître, et donc de disposer d'un modèle des fluides thermodynamiques mis en oeuvre.
De nombreuses équations d'état[1] ont été proposées et continuent d'être mises au point pour cela. Parmi les plus utilisées on trouve les équations cubiques, dont le principal avantage est qu'elles peuvent être résolues formellement, mais qui comportent diverses limites, que les modèles associatifs permettent souvent de dépasser.
Critères technico-économiques
Certaines propriétés thermophysiques du fluide ont une incidence directe sur les coûts des équipements. Nous en citons ici quelques uns.
Volume spécifique et chaleur latente
Un faible volume massique et une chaleur latente importante permettent :
d'absorber plus d'énergie lors de l'évaporation ;
de réduire le débit nécessaire, donc de diminuer la taille de l'installation ;
de réduire le volume de vapeur à la sortie d'une turbine ORC, donc de diminuer sa taille.
Propriétés de transport
Les propriétés de transport, à savoir la conductivité et la viscosité, conditionnent la capacité de transfert convectif du fluide considéré. Le coefficient d'échange convectif du fluide est, notamment, proportionnel à la conductivité thermique. Ces deux paramètres interviennent dans le dimensionnement des échangeurs de chaleur.
Vitesse du son
La vitesse du son du fluide limite le débit de fluide circulant dans un corps de turbine. Ce paramètre influence directement la taille, et donc le coût d'une turbine ORC.
Le prix et la disponibilité commerciale du fluide sont bien évidemment des éléments essentiels du choix.
Critères de limite de fonctionnement
Le maintien en condition opérationnelle de la machine impose des limites à certaines caractéristiques physiques des fluides. Ces critères de limite de fonctionnement sont la température de fusion et les pressions de condensation et d'évaporation.
Température de fusion
Dans les machines dont certains composants sont situés à l'extérieur, la température du fluide peut descendre assez bas en hiver. Or le fluide ne doit en aucun cas se solidifier. Une température de fusion très basse est fortement recommandée dans ce cas.
Pression de condensation
Idéalement, le fluide doit se condenser ou s'évaporer à une pression supérieure à 1 bar afin d'éviter toute entrée d'air dans le système.
Pression d'évaporation
La pression d'évaporation doit si possible rester modérée, faute de quoi les risques de fuite sont augmentés ainsi que les risques d'explosion.
Stabilité, compatibilité avec matériaux et lubrifiants
Enfin, la stabilité du fluyide et sa compatibilité avec les matériaux et les lubrifiants sont des éléments fondamentaux pour garantir le bon fonctionnement de la machine.
Critères d'environnement et de sécurité
Les fluides de travail doivent respecter les normes environnementales et la sécurité des opérateurs. Les critères liés à l'environnement et à la sureté comprennent les points suivants.
GWP et ODP
Les règlementations environnementales se sont durcies durant les deux dernières décennies. Le choix du fluide doit suivre les standards de protection environnementale en vigueur et en cours d'élaboration pour construire un cycle pérenne pour les décennies à venir. Il est donc préférable que le fluide ait un potentiel d'appauvrissement de la couche d'ozone (Ozone Depletion Potential, ODP) nul et un potentiel de réchauffement global (Global Warming Potential, GWP) le plus bas possible.
Toxicité et inflammabilité du fluide
Afin d'assurer la sécurité des opérateurs, il est préférable d'utiliser un fluide non-toxique et non-inflammable.