Stockage thermique ou pneumatique de l'énergie
Introduction
L'énergie est d'une manière générale très difficile à stocker, sauf sous forme de carburants, notamment liquides. Comme nous l'avons vu, on ne sait pas aujourd'hui stocker dans des conditions économiques de grandes quantités d'électricité, ce qui oblige les gestionnaires des parcs de centrales électriques à moduler leur production pour répondre à une demande qui fluctue fortement, que ce soit au niveau journalier ou saisonnier. Cet exercice comporte toutefois des limites et a un coût, de telle sorte que les tarifs de l'électricité varient fortement selon les heures (figure ci-dessous).
Nous nous limiterons ici à donner quelques indications sur la problématique du stockage thermique ou pneumatique de l'énergie à grande échelle, sans aborder les « petits » stockages tels que les accumulateurs, les volants d'inertie...
En complément du stockage hydraulique évoqué dans la page sur la production d'électricité, plusieurs systèmes ont été proposés pour déplacer une consommation d'électricité en heures creuses par une production durant les heures de pointe, par exemple en comprimant de l'air lorsque l'électricité est bon marché, et en turbinant cet air lorsqu'elle est chère, l'association d'un tel stockage pneumatique avec un stockage thermique pouvant améliorer les performances du système.
Le stockage d'énergie thermique peut se faire de plusieurs manières :
par chaleur sensible : eau, huiles synthétiques, vapeur d'eau sous pression, sels fondus sans changement de phase, céramiques, béton, etc. ;
par chaleur latente : transitions de phases solide-liquide, liquide-vapeur, solide-vapeur ou solide-solide de matériaux divers (eau, paraffines, sels, métaux, etc.) ;
sous forme thermochimique par réactions chimiques endo ou exothermiques, adsorption, absorption.
Le stockage sous forme pneumatique consiste quant à lui à comprimer un gaz lors de la phase de stockage, pour le détendre ensuite pendant la phase de déstockage. Le gaz le plus souvent considéré pour cela est l'air.
Ces deux formes de stockage peuvent être couplées pour obtenir de meilleures performances.
Presque toujours, l'efficacité du stockage thermique ou pneumatique est relativement faible, aussi le recours à un tel stockage ne se justifie généralement que dans deux cas :
lorsque la ressource est variable et non synchronisée avec les besoins. C'est typiquement le cas des installations solaires ;
lorsque le prix de l'énergie varie beaucoup d'une période à l'autre. Il peut alors être intéressant de stocker en heures creuses pour déstocker pendant les heures de pointe.
Dans tous les cas, lors de la phase de déstockage, les systèmes de stockage thermique ou pneumatique ne restituent pas l'énergie exactement dans le même état (au sens thermodynamique du terme) que celui dans lequel elle se trouvait lors de la phase de stockage. Les pertes se traduisent par des baisses de température et de pression qu'il est important de connaître si l'on veut être capable de déterminer le fonctionnement du système complet. Or les fonctions de transfert entre l'énergie stockée et l'énergie déstockée sont souvent assez mal connues.
Nous commencerons cette section par quelques considérations à caractère méthodologique visant à illustrer ces problèmes, puis nous listerons quelques systèmes munis de stockage qui sont soit déjà couramment utilisés, notamment dans le domaine du froid, soit envisagés et encore à l'étude.
Difficultés méthodologiques
L'introduction d'un stockage dans un système thermodynamique pose un certain nombre de difficultés méthodologiques. Comme on peut s'y attendre, l'opération de stockage-déstockage induit des pertes, mais leur qualification ne peut que rarement être effectuée par une simple efficacité qui serait égale au rapport de l'énergie restituée à l'énergie stockée : la qualité de cette énergie baisse généralement, et dépend aussi beaucoup de la manière dont le déstockage est effectué.
Considérons un simple ballon de stockage par chaleur sensible d'un fluide caloporteur liquide (eau, huile...). La modélisation d'un tel stockage se fait généralement en considérant deux cas limites, appelés "stock parfaitement brassé" et "écoulement piston". Dans le premier cas, on fait l'hypothèse qu'à tout moment la température est uniforme dans le ballon, établie à la valeur moyenne obtenue d'une part compte tenu de sa température avant injection du fluide à stocker et d'autre part de la quantité de fluide ajoutée, alors que dans le second cas, on suppose qu'il existe une stratification parfaite dans le ballon entre le fluide initialement présent et le fluide stocké (avec l'hypothèse que le fluide chaud est injecté dans la partie supérieure du ballon).
De surcroît, on peut tenir compte de pertes thermiques du ballon vers l'extérieur, généralement supposées proportionnelles à sa surface et à la différence de température entre le fluide stocké et la température extérieure.
Il est clair que ces deux cas correspondent à des situations limites, le premier conduisant à une dégradation de la qualité de l'énergie beaucoup plus importante que le second. La réalité se trouve certainement entre les deux, un certain brassage existant, mais pouvant être minimisé en adoptant des dispositions technologiques judicieuses. Il est ainsi possible, lorsqu'on dispose d'un stockage de grande taille, de le concevoir sous forme de modules connectés les uns aux autres. Chaque module peut alors être considéré comme brassé, alors qu'une très bonne stratification existe entre les différents modules à des températures différentes.
Dans un stockage pneumatique, un compresseur remplit une enceinte de stockage en injectant un gaz dont la pression et la température varient en fonction de l'état du stockage, car seule l'hypothèse d'un milieu parfaitement brassé peut être retenue. Les performances du compresseur et donc le coût énergétique de l'opération dépendent eux aussi directement de ses caractéristiques technologiques et de l'état du stockage. En mode déstockage, la pression et la température chutent, selon des lois elles aussi complexes.
Quelques exemples
Les principaux types de stockages thermiques ou pneumatiques de l'énergie existant ou à l'étude sont les suivants :
le stockage de froid dans des nodules a changement de phase, comme par exemple les systèmes de stockage par chaleur latente appelés STL, commercialisés par la Société Cristopia. Un STL est composé d'une cuve remplie de nodules contenant un matériau à changement de phase dont la température de fusion peut être choisie entre –33°C et 27 °C, et d'un fluide caloporteur. Etant donné que les systèmes de réfrigération industriels doivent produire de l'énergie frigorifique avec des charges souvent très importantes sur de courtes durées (correspondant à des cycles de fabrication), le STL présente de nombreux avantages tels qu'une diminution sensible de la puissance frigorifique installée (jusqu'à 70 %), l'utilisation de l'énergie électrique aux tarifs les plus bas pour des économies substantielles, ainsi que la gestion de la production frigorifique en fonction des besoins réels ;
la Société Saipem a breveté un procédé de stockage baptisé THESE (THermal Energy Storage of Electricity) qui met en œuvre des régénérateurs de chaleur remplis de matériaux réfractaires qui assurent le stockage de l'énergie, et des machines thermiques (turbines et compresseurs) qui servent aux transformations énergétiques. Le procédé de stockage repose sur une technologie innovante, qui combine un pompage de chaleur durant la phase de stockage et une conversion de la chaleur par des cycles de turbine à gaz. Durant la phase de stockage l'électricité est utilisée pour entraîner une pompe à chaleur qui transfère de la chaleur d'une enceinte vers une autre à température plus élevée ; durant la phase de déstockage, la chaleur est transformée à nouveau en énergie mécanique par une machine thermique ;
plusieurs systèmes de stockage d'électricité par air comprimé ont été proposés au cours des dernières années. Le plus connu est appelé CAES (Compressed Air Energy Storage) ou sa variante AACAES Advanced Adiabatic CAES). Il requiert l'existence de cavernes souterraines de grandes dimensions, ce qui n'est possible que dans des endroits où la géologie est favorable (dômes de sel profonds par exemple, ou nappes phréatiques profondes très perméables) rarement situés dans des zones adéquates. Par ailleurs, hormis l'AACAES, cette technologie nécessite la combustion de gaz naturel lors du déstockage. Dans un tel dispositif, l'air est stocké sous pression pendant les heures creuses, dans une caverne de grand volume. En mode de production, cet air est utilisé comme comburant dans une turbine à gaz, réduisant sensiblement le travail de compression qui représente 60 à 70 % du travail produit par la turbine dans un cycle de TAG classique. La puissance disponible peut ainsi être triplée par rapport à un fonctionnement sans stockage ;
le recours à des transformations isothermes permet d'obtenir de bons rendements. L'utilisation d'un cycle isotherme à la température ambiante présente l'avantage de ne pas nécessiter de stockage de chaleur, ce qui évite les pertes et permet un stockage de durée indéterminée. C'est l'idée de base qui a été étudiée à l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) et a conduit au concept de "Batterie Oléo-Pneumatique" ou BOP. Un système semblable s'appelle stockage hydropneumatique ou Hydro Pneumatic Energy Storage (HPES en anglais). Ce n'est donc rien d'autre que le développement moderne et à grande échelle d'un concept ancien : celui de l'accumulateur hydraulique, ou piston hydraulique. Pour cette application, le piston hydraulique est constitué par une cuve fermée remplie en partie d'eau, au-dessus de laquelle se trouve une poche d'air. On injecte de l'eau lentement à l'aide d'une pompe hydraulique, ce qui fait monter le niveau dans la cuve et comprime l'air. En sens inverse, la pression de la poche d'air se transmet à l'eau qui restitue l'énergie en actionnant un moteur hydraulique.